L’approche Parler/Écouter…
Entretien avec Roseline Roy, traductrice des ouvrages Faber-Mazlish en français
— On n’apprend en aucune façon aux parents à élever leurs enfants,
mais on leur donne des outils pour communiquer avec eux. —
Sur quoi repose l’approche des relations entre parents et enfants que vous présentez ?
On met beaucoup l’accent sur l’écoute des émotions. Pour que les enfants se comportent bien, il faut qu’ils se sentent bien. Cette approche – qu’on a appelée Parler/Écouter ou Faber-Mazlish – est un ensemble de principes, d’habiletés. On n’apprend en aucune façon aux parents à élever leurs enfants mais on leur donne des outils pour communiquer avec eux.
Ce soir, lors de ma conférence, le thème portait sur la communication entre les parents et leurs ados. Mais peu importe l’âge des enfants à la base, le même type d’échanges, où les sentiments sont si souvent ignorés, peut contribuer à couper les ponts entre les adultes et les enfants. Par exemple, votre ado rentre fâché à la maison,, en expliquant que le prof de gym n’a pas voulu qu’il participe à la séance parce qu’il avait oublié son short. Au lieu de lui dire : « Tu vois, tu oublies tout le temps tes affaires », nous proposons de lui dire : « Ça t’a déçu, ton cours de gym c’est important pour toi ». Or, plutôt que de nommer les émotions de l’ado, on est souvent dans leur négation, ce qui fait que l’enfant se bute, se plaint d’être incompris.
La première étape est donc d’apprendre à mettre des mots sur les émotions de l’autre. On le fait à travers des jeux de rôle, des mises en situation, c’est très ludique. Ensuite, d’autres habiletés nous aident à amener les enfants à coopérer. Ce n’est pas l’obéissance qu’on vise, mais leur collaboration. Par exemple, au lieu de dire à l’enfant : « Tu as encore laissé tes baskets devant la porte », on va dire simplement : « Tes baskets », ou : « Tes baskets sont devant la porte ». Ça a l’air simpliste, mais l’enfant peut savoir lui-même quoi faire. Or on est souvent dans les accusations, ou même le dénigrement, ce qui ferme petit à petit la communication entre les enfants et les adultes.
— On est conscient des difficultés des générations passées et on ne veut pas les reproduire. —
La communication entre parents et enfants est-elle plus difficile aujourd’hui qu’autrefois ?
Je dirais plutôt qu’aujourd’hui on est davantage conscient de l’impact de nos mots, on est plus axé sur la bienveillance ; on est conscient des difficultés des générations passées et on ne veut pas les reproduire. L’approche dont je parle a été lancée dans les années 80. Le livre « Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent » figure dans la liste des best-sellers du New York Times depuis 33 ans : du jamais vu !
Cet outil développé par des américaines est-il compatible avec d’autres cultures ?
C’est une approche bien connue dans le monde anglophone. Je l’ai traduite en français, et elle est de plus en plus populaire dans les pays francophones. Mais l’approche a été traduite dans une quarantaine de langues.
Quand on est dans l’écoute des sentiments, on est dans l’humain. Les humains se ressemblent partout sur la planète. Les exemples changent ici et là, mais moi qui parcours la planète, je suis frappée de voir combien les problèmes dans les relations adultes/enfants se ressemblent partout.
— On est conscient des difficultés des générations passées et on ne veut pas les reproduire. —
Les notions d’obéissance et de punition ne semblent pas faire partie de l’approche dont vous faites la promotion. Cela signifie-t-il qu’elles sont totalement à proscrire ou gardent-elles un rôle, même marginal ou épisodique ?
On a des moyens beaucoup plus efficaces que la punition, la soumission, la peur… lesquels ne fonctionnent pas, n’atteignent pas le but recherché. Ce qu’on veut dans l’approche, c’est amener les enfants à s’autodiscipliner. On nous traite souvent de bisounours ; mais je dirais que c’est une façon de faire qui est à la fois ferme et aimante. Il ne s’agit pas de laisser les enfants nous marcher sur les pieds, d’en faire des enfants rois ; on est vraiment dans le respect mutuel, la communication respectueuse.
Quand je dis à l’enfant que je suis fâchée, je le ressens vraiment et je l’exprime. Quand l’enfant fait des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord, je ne le laisse pas faire. Mais ma façon de lui exprimer ce que j’ai à lui dire va tenir compte du fait que c’est une personne humaine, qui a droit à l’erreur. Ensemble on va trouver des solutions pour corriger la situation.
On s’aperçoit d’ailleurs que l’enfant est rempli de ressources. Même avec des petits bouts de chou de trois ou quatre ans, on est toujours surpris de voir que les solutions qu’ils évoquent sont plus adaptées, parce qu’elles viennent d’eux. Ce sont des choses auxquelles on n’avait pas pensé. Mais c’est la même chose avec des adolescents et avec des adultes, peu importe l’âge.
Au passage, j’ajouterais que des personnes à qui on apprend à se soumettre vont se soumettre à toutes sortes d’autorités et parfois à des autorités qui ne sont pas bienveillantes. On l’a vu avec l’Holocauste : le peuple allemand a appris à se soumettre et c’est comme ça qu’on a pu commettre des atrocités. La soumission, on l’a vu dans l’histoire humaine, peut vraiment aller jusqu’à des extrêmes.
— Cela forme des enfants qui ont confiance en eux et une meilleure estime d’eux-mêmes. Les outils qu’on leur donne les rendent capables de faire face au monde extérieur. —
Si la communication est respectueuse au sein de la famille, cela suffit-il à l’enfant pour résister aux défis ou aux carences du monde extérieur ?
C’est une question qu’on me pose souvent. Ce qu’on désire, c’est faire connaître l’approche dans tous ces milieux-là. Adele Faber et moi travaillons sur un guide pour les enseignants. La demande est très forte. Effectivement, quand on utilise ces outils-là à la maison, on aimerait que les enfants évoluent dans un monde où on les emploie aussi partout. Ce n’est pas évident mais ça avance petit à petit.
Déjà, en utilisant ces habiletés à la maison, cela forme des enfants qui ont confiance en eux et une meilleure estime d’eux-mêmes. Les outils qu’on leur donne les rendent capables de faire face au monde extérieur. Car lorsqu’on a une solide estime de soi, on est capable de s’autogérer, de se débrouiller dans à peu près n’importe quelle situation, de prendre des décisions qui sont dans le respect de l’autre.
Cette approche Parler/Écouter, la plupart des parents ne l’appliquent-ils pas déjà plus ou moins spontanément ? Est-ce vraiment nouveau ?
Ce qui est intéressant c’est qu’on apprend à distinguer entre ce qu’on dit et ce qu’on fait, entre ce qui est utile et ce qui ne l’est pas du tout. Effectivement, décrire les problèmes, parler de nos sentiments, on le fait déjà beaucoup. Sauf que c’est mélangé avec plein de « techniques » nuisibles dans les relations, comme les blâmes, les accusations, les sarcasmes… On apprend à distinguer ce qui va fonctionner, apporter du meilleur dans la relation, et ce qui va apporter du poison. C’est cette distinction qui est nouvelle.
— On emploie toutes sortes de petites techniques, pour désapprendre ce qu’on a appris, car on n’a pas été élevé de cette façon-là. —